Biographie
Petit-fils par sa mère d'Hassan el Banna, fondateur de l'association égyptienne des Frères musulmans et fils de Saïd Ramadan, fondateur de la branche palestinienne de ce mouvement, Tariq Ramadan naît à Genève en 1962. Au cours de ses études il obtient une licence ès Lettres (en Philosophie) puis un doctorat ès Lettres (Langue, Littérature et Civilisation arabes). Tariq Ramadan voit en el Banna un des artisans du renouveau musulman et lui a consacré une partie de sa thèse doctorale, intitulée Aux sources du renouveau musulman : d'al-Afghānī à Hassan al-Bannā, un siècle de réformisme islamique. Ramadan se définit lui-même comme un réformiste de tendance salafiste, à savoir quelqu'un qui cherche à retrouver un islam des premiers temps, dénué de toute trace culturelle étrangère[1]. Puis Tariq Ramadan étudie les sciences islamiques à l'université islamique d'al-Azhar au Caire entre 1992 et 1993.
À partir de 1994, il vient en France et y donne des conférences. Proche de l'UOIF, il participe chaque année à ses congrès. Il signe l'Appel des indigènes de la république, qui dénonce la France comme un État n'assumant pas son passé colonial.
En Suisse, il enseigne au collège de Saussure à Genève. Il est également chargé de cours d'islamologie à l'université de Fribourg de 1996 à 2003. L'université catholique de Notre-Dame à South Bend dans l'Indiana lui offre au début de l'année 2004 une chaire d'un an financée par le Joan B. Kroc Institute pour enseigner sur « les relations entre les religions, les conflits et la promotion de la paix »[2]. En août de la même année, le gouvernement américain lui refuse un visa de travail sans fournir d'explication. À la suite de ce refus, de nombreux intellectuels américains, tels Noam Chomsky ou Edward Saïd, signent une pétition pour dénoncer cette entrave à la liberté académique. Pendant l'été 2005, Tariq Ramadan obtient une invitation de visiting scholar à l'université d'Oxford et est invité à participer à un groupe de réflexion fondé par Tony Blair sur le problème de l'islamisme au Royaume-Uni.
Tariq Ramadan est marié et père de quatre enfants, dont l'un suit les cours du collège musulman Brondesbury, réservé aux garçons et dirigé par Yusuf Islam (Cat Stevens). Son épouse est française et convertie à l'Islam depuis leur mariage. Hani Ramadan, le frère de Tariq Ramadan, est un activiste musulman. Il réside à Genève où il enseigne le français et dirige le Centre islamique de Genève. En novembre 2006, le magazine EuropeanVoice lui a remis le prix d'Européen de l'année dans la catégorie des personnalités n’étant pas citoyens d'un pays membre de l'Union Européenne[1].
Opinions
Tariq Ramadan se fait connaître en France en 1994, après la publication d'un ouvrage intitulé Les musulmans dans la laïcité. Il plaide pour que les musulmans vivant en Occident ne se considèrent plus comme des étrangers, ou comme des résidents temporaires mais comme des citoyens à part entière. Selon lui, ce changement de mentalité doit éviter toute aliénation : il réclame le droit d'« être musulman européen » (titre d'un autre de ses livres), demandant aux parents immigrés de ne pas confondre culture et religion. Il insiste en parallèle pour que la seconde génération née dans les pays occidentaux continue à respecter strictement le Coran et les hadiths, tout en composant avec les normes culturelles du pays d'accueil, au lieu de perpétuer celles du pays natal de leurs parents. En particulier, il considère que les musulmans devraient être des citoyens actifs, et agir contre l'injustice dans le cadre des différentes associations (syndicats, parents d'élève etc). Il ressent une sympathie avec certaines des analyses de Karl Marx ("Je n'arrête pas de dire qu'on a trop vite fait d'enterrer Marx"[2]).
Ramadan déclare ne voir aucun conflit entre « être musulman » et « être un citoyen à part entière » dans les pays occidentaux. Il préconise aussi que les intellectuels musulmans occidentaux soient versés dans les manières occidentales, et non uniquement dans des études religieuses provenant de pays musulmans.
Tariq Ramadan enseigne un respect du Coran, lui-même entendu selon une lecture qui d'abord respecte la tradition et son sens fondamental, pour la distinguer d'une autre lecture, rationaliste, et qui pourrait s'accorder avec la tradition du rationalisme occidental et chercherait à s'accorder avec celle-ci. Pour lui le plus important, c'est l'effort d'interprétation - Ijtihad - que doivent accomplir les musulmans, ne pas avoir une lecture du Coran littéral, mais au contraire, prendre compte du contexte historique et actuel des lois et traditions islamiques.[3] En effet, il déclare par exemple, en novembre 2003 sur la radio Beur FM : « Il y a la tendance réformiste rationaliste et la tendance salafie au sens où le salafisme essaie de rester fidèle aux fondements. Je suis de cette tendance-là, c'est-à-dire qu'il y a un certain nombre de principes qui sont pour moi fondamentaux, que je ne veux pas trahir en tant que musulman.»
Dans son livre Les Musulmans dans la laïcité (éd. Tawhid), il écrit : « Un musulman, résident ou citoyen, doit se considérer sous l'effet d'un contrat à la fois moral et social avec le pays où il séjourne. En d'autres termes, il se doit d'en respecter les lois. » Il est notamment critiqué par la journaliste et essayiste Caroline Fourest qui, dans son ouvrage Frère Tariq, rapporte que Tariq Ramadan, dans une cassette intitulée Vivre en Occident, estime qu'un musulman doit observer les lois du pays où il habite seulement dans la mesure où celles-ci ne s'opposent pas à un principe de l'islam. Tariq Ramadan soutient à ce sujet qu'il précise ultérieurement, dans la même cassette, que c'est le cas des démocraties occidentales.
Un personnage controversé
Ses écrits et déclarations sont très soigneusement observés par ceux qui s'intéressent à la place de l'islam et au devenir de l'intellectuel suisse. Tariq Ramadan est entre autres vivement critiqué par des intellectuels et hommes politiques et organisations de droite comme de gauche. On peut citer pour représenter l'arc politique qui va de l'extrême-gauche à la droite : Lutte Ouvrière, Bernard Cassen (Attac), Max Gallo, Manuel Valls (élu PS), Alexandre del Valle (UMP), des organisations féministes comme Pro-choix, etc.. Il fut également interdit de séjour en France pour quelques mois à partir de novembre 1995 jusqu'à début 1996, pour « menace à l'ordre public ».
Tariq Ramadan est défendu par d'autres personnalités, comme Vincent Geisser ou François Burgat[4] qui estiment qu'il n'est ni sexiste, ni antisémite, ni islamiste. Le journaliste Ian Hamel dans un article paru sur le site oumma.com estime en janvier 2005 qu'il existe en France une campagne anti-Ramadan[5]. Il explique également : « J'ai interrogé des spécialistes des services secrets français, des hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, ils sont tous unanimes pour dire que Tariq Ramadan n'est pas Frère musulman, encore moins leur grand chef pour l'Europe.»
Un double discours?
Tariq Ramadan est rapidement devenu un prédicateur populaire parmi les jeunes musulmans, où ses discours sont diffusés sous la forme de cassettes audio. Il prône la stricte observance du Coran et des hadiths aux jeunes des banlieues, tout en voulant concilier l'appartenance musulmane avec la vie commune et les lois des sociétés européennes. Selon Ramadan, les musulmans devraient garder intacte leur propre communauté, et éviter les mariages avec des non-musulmans (sauf conversion à l'islam). Il est critiqué sur ce point dans l'article de Leila Babès « L’identité islamique européenne d’après Tariq Ramadan »[6].
Tariq Ramadan est accusé par Caroline Fourest, ainsi que notamment Soheib Bencheik, Antoine Sfeir et Mohamed Sifaoui, d'être un « maître du double langage » (taqiya) déclarant une chose au public non-musulman et une autre au public musulman[7]. Celle-ci publie en octobre 2004 Frère Tariq aux éditions Grasset[8] : elle y analyse la vingtaine d'ouvrages écrits par Tariq Ramadan, ainsi que la plupart de ses conférences enregistrées. Elle affirme que la pensée de Tariq Ramadan reste fondamentalement plus islamiste qu'ouverte à une adaptation à la culture politique démocratique[9] et une cohabitation avec la société occidentale. Tariq Ramadan a répondu[10] que Caroline Fourest interprétait librement ses discours en les sortant de leur contexte .Lors d'un procès qu'il perdit contre Antoine Sfeir, érudit libanais et directeur des Cahiers de l'Orient, il apparut que celui-ci le considérait comme un islamiste dangereux, militant contre l'intégration, un « fondamentaliste charmeur », un « spécialiste du double langage », ce que vinrent appuyer d'autres témoins, parmi lesquels le journaliste Mohammed Sifaoui, remarqué pour ses enquêtes sur les islamistes qui vint dire à la barre que « ce que dit Antoine Sfeir est en-deçà de la réalité ».
Les (nouveaux) intellectuels communautaires
Ramadan a entretenu des liens avec certains altermondialistes, qui l'invitèrent au FSE (Forum social européen) en 2003. C'est notamment suite à la publication d'un texte intitulé Les (nouveaux) intellectuels communautaires[11] sur le site Web oumma.com, puis repris sur la liste de discussion Internet du Forum social européen, que Ramadan fut accusé d'antisémitisme par Alain Finkielkraut. Ce texte avait dans un premier temps été envoyé à la presse, notamment aux quotidiens Le Monde et Libération, qui en avaient refusé la publication. Ramadan y affirme que plusieurs intellectuels juifs en France (comme Alexandre Adler, Alain Finkielkraut, Bernard-Henri Lévy, André Glucksmann ou Bernard Kouchner) ne seraient plus des intellectuels universalistes défendant les droits de l'homme universels, mais développeraient des analyses communautaristes, ce qui les amènerait à prendre des positions contestables, comme le soutien à la guerre en Irak, et à ne s'intéresser qu'au soutien d'Israël. Il affirme également que Paul Wolfowitz, qu'il décrit comme « sioniste notoire » au sein de l'administration Bush, n'a jamais caché que la chute de Saddam Hussein servait les intérêts de l'État d'Israël. Établissant une équivalence entre terrorisme islamiste et politique d'Israël, il écrit « On perçoit clairement que leur positionnement politique répond à des logiques communautaires , en tant que juifs, ou nationalistes, en tant que défenseurs d’Israël. Disparus les principes universels (…) S’il faut exiger des intellectuels et acteurs arabes et musulmans qu’ils condamnent, au nom du droit et des valeurs universelles communes, le terrorisme, la violence, l’antisémitisme et les États musulmans dictatoriaux de l’Arabie saoudite au Pakistan ; on n’en doit pas moins attendre des intellectuels juifs qu’ils dénoncent de façon claire la politique répressive de l’État d’Israël. »
Cette dénonciation, sa forme, ce qu'il attribue à chacun des intellectuels cités, lui ont valu de vives critiques par plusieurs intellectuels et éditorialistes, dont Alain Finkielkraut[12], Bernard-Henri Lévy[13] et André Glucksmann, qui répond dans l'article « Une obsession antisémite » paru dans le Nouvel Observateur[14] : « Ce qui est étonnant, ce n’est pas que Monsieur Ramadan soit antisémite, mais qu’il ose désormais se revendiquer comme tel.»
Dans un article publié dans Politis, le journaliste Denis Sieffert écrit cependant:
« Mais que dit Ramadan de si extraordinaire ? Il accuse certains intellectuels « juifs français », ou « nationalistes », « de développer des analyses de plus en plus orientées par un souci communautaire qui tend à relativiser la défense des principes universels d’égalité ou de justice ». Il leur reproche une indignation sélective. Or, c'est un fait que l'on n'a pas souvenir d’avoir beaucoup entendu Finkielkraut, Adler, BHL ou encore Taguieff condamner la politique de répression de Sharon. Et lorsque Askolovitch s’indigne que l’on puisse décrire Finkielkraut comme « un défenseur de Sharon », on a envie de le mettre au défi de nous apporter la preuve du contraire. Depuis trois ans que le conflit au Proche-Orient exporte ses peurs et ses haines, nous n'en trouvons pas trace. »
Pour prendre juste un exemple en guise de précision sur ce point, il faut rappeler qu'Alain Finkielkraut, membre fondateur de mouvement "la Paix Maintenant" -dont l'action est favorable au droit des Palestiniens à un Etat, et condition de la paix-, n'a pourtant jamais été connu pour être un soutien de Sharon. La question lui a été posée, par l'hebdomadaire Marianne, dont on peut lire le compte-rendu avec les explications de Finkielkraut[15].
La loi sur les signes religieux
Peu après, Tariq Ramadan intervient dans les débats concernant la loi française sur les signes religieux : avant le vote de la dite loi, il engage ceux qui le suivent à s'opposer à cette loi, au nom de l'islamophobie supposée de celle-ci. Dans un texte paru sur oumma.com[16], il déclare : « La lutte que nous sommes en train d’entamer sera longue et elle exige une vision claire des enjeux globaux présents et futurs. (…) il faut se lever aujourd’hui et s’opposer à ce projet de loi discriminatoire et insensé ».
Au moment où ce débat a lieu dans le pays est organisée une rencontre télévisée entre lui et le ministre de l'Intérieur - à l'époque, Nicolas Sarkozy - lors de l'émission 100 Minutes pour convaincre. Sur le thème du voile islamique à l'école, lorsque Nicolas Sarkozy lui demande s'il peut demander que les élèves musulmanes portent seulement un signe discret d'appartenance, Tariq Ramadan répond « Un signe discret ? Oui, si la loi le dit, c'est OK.» Sur la laïcité, Tariq Ramadan déclarera ensuite, une fois la loi votée et appliquée: « Ma pensée a évolué. Je considère que la loi de 1905 convient parfaitement à l'intégration de l'islam. Il suffit de l'appliquer de manière simple et égalitaire.»
Sur le thème de la lapidation des femmes, il affirme : « Je demande un moratoire pour qu'on cesse l'application de ces peines-là dans le monde musulman. Ce qui compte, c'est de faire évoluer les mentalités. Il faut un discours pédagogique.» Il le rappelle en 2007, dans un débat avec Philippe de Villiers, dans l'émission française Ripostes.